Le congé menstruel: une pratique innovante ou régressive ?

On entend de plus en plus parler d’entreprises, en Asie, en Europe et en Afrique, qui offrent à leurs employées un congé menstruel, c’est-à-dire une ou plusieurs journées sans travailler pour mieux traverser leurs périodes de menstruations. Cette pratique soulève divers questionnements et de vives réactions, et ce, tant en sa faveur que contre celle-ci. L’équipe du HappyBus s’est penchée sur les données actuelles et a analysé les opinions sur le sujet afin de mieux comprendre ce phénomène.

L’Asie précurseur...dans les années 1950!

L’idée d’un congé menstruel fait son apparition au Japon en 1925. À cette époque, les Japonaises, déjà présentes sur le marché professionnel, travaillent en moyenne 10 heures par jour dans des conditions exécrables, et plusieurs d’entre elles vivent des fausses couches à répétition. C’est dans ce contexte que des ouvrières et des groupes féministes réclament de libérer les travailleuses lors des premiers jours de règles pour favoriser la santé de leur cycle et de leur système reproducteur. Un peu plus de vingt ans plus tard, en 1947,  le Japon devient le premier pays à instaurer, et même à légiférer, le congé menstruel. 

L’Indonésie emboîte le pas au Japon en 1948 en octroyant aux femmes deux jours de congés menstruels par mois. Puis à partir des années 2000, plusieurs pays mettent en place des lois du même genre: la Corée du Sud en 2001 autorise un jour de congé supplémentaire (non-rémunéré) pour les femmes, à Taiwan les travailleuses ont droit à trois jours de congés payés par année pour des raison de santé menstruelle et en Zambie un jour de repos par mois est octroyé aux employées depuis 2015.

Ces pays ont inséré le congé menstruel dans une loi et en ont fait une pratique accessible à toutes, mais de plus en plus d'entreprises décident par elles-mêmes d’offrir ce genre de congé à leurs employées. C’est notamment le cas de la compagnie indienne Zamato, multinationale qui fait la livraison de repas à domicile tel UberEats. Ce genre d’initiative dépasse maintenant les frontières de l’Asie. La société coopérative La collective est devenue la première entreprise française à proposer un congé menstruel. L’Australie voit de plus en plus d’organisations proposer des congés allant de 6 à 12 jours par année pour les employées [1]. Toutefois, cette pratique reste rare ou même inexistante en Amérique et dans la plupart des pays européens.


Les données et les obstacles

Des lois sont donc en vigueur depuis les années 50 et de plus en plus d’entreprises offrent le congé menstruel, mais est-ce réellement un avantage dont profitent les travailleuses ? 

En se tournant de nouveau vers le Japon, on réalise que bien qu’une loi encadre l’existence et l'accessibilité au congé menstruel, il demeure que chaque employeur peut déterminer la durée autorisée des absences ainsi que leur rémunération ou non. Malgré cela, près de 30 % des Japonaises profitaient de ce congé en 1965 [2]. Toutefois, ce taux diminue d’année en année pour passer à 9,2% en 1985, puis à 1,6% en 2004. Aujourd’hui, ce n’est que 0,09% des Japonaises qui prennent réellement un congé menstruel lorsque nécessaire [2].

En Corée du Sud la situation semble être similaire. Un sondage récent mené auprès de 20 000 travailleuses du domaine de la santé a en effet démontré qu’environ 85% d’entre elles n’utilisaient pas le congé menstruel auquel elles ont droit [3]. 

Par ailleurs, au-delà de la légitimité et de l’accessibilité au congé menstruel, une panoplie de freins retiennent les femmes à profiter de cet avantage. Au Japon toujours, les menstruations restent un sujet tabou très peu évoqué dans les milieux de travail. Sachimi Mochizuki, une Japonaise sur le marché professionnel depuis plus de 20 ans, n’a jamais demandé de congé menstruel pour la simple raison que ceci impliquerait de dire à ses supérieurs, principalement des hommes, qu’elle est menstruée [4].

À Taiwan, si les employées prennent l’une des trois journées de congés menstruels payés par années auxquelles elles ont accès, cela peut provoquer une diminution de leur salaire annuel. Finalement en Indonésie et en Italie, pour obtenir ce congé, il faut une preuve médicale confirmant que les menstruations sont douloureuses [5]. Bref, les démarches et conséquences qui entourent parfois cet avantage découragent les travailleuses d’en bénéficier pleinement.


Les opinions divergentes

Tout ceci nous amène donc à nous demander si le congé menstruel est une pratique innovante ou régressive. Et c’est ici que les opinions divergent...d’un extrême à l’autre! 

Certaines entreprises prônent qu’elles souhaitent “normaliser les processus qui traversent le corps des femmes''. Cela signifie “éliminer la honte et la stigmatisation associées aux règles et à la ménopause”, mentionne la directrice de Future Super, une compagnie australienne[2]. D’autres, comme Cherie Hoeger fondatrice de la compagnie anglaise Saalt, soutiennent qu’offrir un congé menstruel “make employees feel supported and understood, and policies that equip people to do their best work, even under difficult circumstances, are policies that will increase loyalty and better improve employee retention in the long run.”[6]

Les opinions sont également tranchées et discordantes lorsqu’on demande aux principales intéressées, c’est-à-dire les travailleuses. Pour certaines, le congé menstruel est une reconnaissance que les menstruations peuvent affecter leur créativité, leur capacité à s’exprimer et leur productivité. Le fait de pouvoir prendre une ou plusieurs journées de congé les libère d’une obligation et d’une pression à se présenter au travail en sachant qu’elles ne sont pas aptes à donner le meilleur d'elles-mêmes et à répondre aux exigences et aux attentes de leurs collègues et de leurs supérieurs. Il s’agit de reconnaître et de normaliser, dans le milieu de travail, le fait que les femmes vivent à chaque mois un phénomène biologique qui chamboule leurs hormones et affecte leur efficacité [2].

Pour d’autres femmes, il s’agit d’une pratique aberrante, et surtout paternaliste, qui ne fait qu’exacerber les discriminations déjà présentes sur le marché du travail. Pour celles-ci, le congé menstruel vient renforcer l’idée que les femmes sont plus faibles et moins productives que les hommes, pouvant aller jusqu’à décourager certaines entreprises d’embaucher des femmes [7]. D’autres argumentent que très peu d’études et de recherches sont actuellement disponibles pour prouver que les menstruations impactent négativement le rendement professionnel des travailleuses.   

“Feminists are split on whether period leave is a step back or a sign of progress when it comes to women's rights. Some argue that it's as necessary for working women as maternity leave, while others say that it casts women as less able than men and could lead to further discrimination.” - Julia Hollingsworth, CNN Business [4]


Ce qu’en pense l’équipe HappyBus

De tout évidence, le congé menstruel soulève de vives réactions et de forts débats. Nous nous sommes nous-mêmes demandé, au sein de l’équipe HappyBus, ce que nous pensions d’une telle pratique. Voici un aperçu de nos réflexions ;

Alexandra Lamoureux : Pour moi, il existe clairement un manque d’éducation au sujet de tout ce qui entoure les hormones féminines. Je pense que l’instauration d’un dialogue dans des conditions bienveillantes serait un pas de géant vers un avenir plus progressiste. Toutes les femmes ont des besoins différents et il serait important qu’elles se prononcent si c’est ce qu’elles désirent.

Marie-Pier Côté: Le congé menstruel divise, et je comprends pourquoi ! J’avoue être moi-même divisée à savoir si je suis en faveur ou non d’une telle pratique. Les très nombreuses variables influençant la pertinence de celle-ci et le peu d’études disponibles me poussent à attendre de voir ce que la science en dit avant de réellement me prononcer.


Chez HappyBus, on croit que les employeurs autant que les employés peuvent être des acteurs de changements dans le bien-être au travail. En observant ce qui se fait ailleurs, en posant des questions et en cherchant les nuances dans tout sujet, on arrive à se forger une idée et ouvrir des discussions enrichissantes pour rehausser le contentement et la performance des équipes. Voyez comment nos services peuvent vous aider à y arriver. 

Références:

[1] https://information.tv5monde.com/terriennes/conge-menstruel-bonne-ou-mauvaise-idee-413745

[2] https://www.nouvelobs.com/rue89/nos-vies-intimes/20170811.OBS3294/un-conge-menstruel-ca-existe-deja-en-asie-et-voila-comment-ca-se-passe.html

[3] http://www.koreatimes.co.kr/www/news/culture/2014/04/399_123535.html

[4] https://www.cnn.com/2020/11/20/business/period-leave-asia-intl-hnk-dst/index.html

[5] https://quatre95.urbania.ca/article/le-conge-menstruel-pour-mieux-travailler

[6] https://www.forbes.com/sites/juliawuench/2020/08/17/the-economic-and-moral-case-for-menstrual-leave/?sh=27a6a3be7019

[7] https://www.bbc.com/worklife/article/20170908-can-period-leave-ever-work


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